La carte bancaire prépayée sur le banc des accusés

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Drapeau FrançaisLe terrible drame des attentats de Paris le 13 novembre 2015 a braqué les projecteurs de l'actualité sur les cartes bancaires prépayées d'une façon assez inattendue. Elles sont aujourd'hui accusées par le gouvernement d'avoir joué un rôle dans la préparation de ces actes abominables. Pour l'opinion publique, la carte bancaire prépayée est ainsi devenue, en l'espace de quelques jours, l'accessoire indissociable des terroristes. Le 26 novembre, sur BFMTV, notre Ministre des finances, Michel Sapin, en rajoutait une couche en expliquant à Jean-Jacques Bourdin tout le mal qu'il pensait de cet instrument de paiement. Malheureusement les propos de notre ministre montrent, une fois de plus, la capacité des hommes politiques a affirmer les plus grandes sottises sur des sujets dont ils ne savent finalement pas grand chose. [...]

Espèces et Monnaie électronique

 Au cours de cette interview, Michel Sapin a argumenté sur le fait que la limite de paiement en espèces avait été récemment abaissé, à son initiative, de 3000€ à 1000€. Puis il a ajouté: « à côté de ça il y avait un outil qui s'appelle la carte prépayée » insinuant par là que celle-ci permettait de contourner la limite de paiement en espèces mise en place par son administration. Mais cela est faux car l’abaissement de la limite de paiement à 1000€ s’applique également à la monnaie électronique (article L. 112-6 du code monétaire et financier) c'est-à-dire aux cartes bancaires prépayées. Or seules ces dernières disposent d'un dispositif électronique de contrôle pour faire respecter cette limite.

Moyen de paiement ou outil de financement ?

Michel Sapin a ensuite expliqué que la carte prépayée avait été utilisée par les terroristes pour « financer » leurs actions. Cela est un raccourci inexact et injuste, car les cartes bancaires prépayées ne sont pas un « moyen de financement », mais un mode de paiement qui n'est d'aucune utilité sans une source de financement. Qui plus est, lorsqu'elles sont anonymes, ces cartes ne peuvent pas recevoir de fonds de tierces parties (virements ou cartes bancaires). La question à se poser, si on cherche vraiment à savoir comment ont été financées ces attentats, c'est « d'où provient l'argent des terroristes ? ». Car si les réservations d'hôtel ont peut-être été effectuées avec des cartes prépayées anonymes (bloquées à 1000€), il est plus que certain que les terroristes ont payé leur armes avec des billets EURO émis par la Banque Centrale Européenne. Et ces criminels n’ont probablement pas été gênés par le nouveau plafond de paiement de 1000€ en espèces, mis en place par notre Ministre, pour faire leur transaction. 

Un raisonnement biaisé

Michel Sapin a sorti une carte prépayée de sa poche et a fait remarquer qu'il était écrit dessus « pour envoyer de l’argent à ses proches » en trouvant utile d'ajouter aussitôt « mais dans les proches, il peut y avoir des proches des terroristes ». On reste admiratif devant ce magnifique exemple de raisonnement faussé par un biais de confirmation. Avec ce type de raisonnement vous pouvez tout utiliser pour appuyer vos convictions. Cela marche avec n'importe quoi, comme ce slogan de La Poste: « Vous avez un cadeau à envoyer à un proche ? Vous venez de finaliser en ligne une vente sur un site d’échanges entre particuliers ? Colissimo propose un nouveau service pour l’envoi de vos Colissimo affranchis en ligne depuis La Boutique La Poste. » Dans les "proches" et les "particuliers", il peut y avoir des terroristes ou des proches des terroristes. La Poste permet donc d'envoyer des colis à des terroristes. Elle représente un danger pour notre sécurité. CQFD.
Mais ce n'est pas fini. Notre Sherlock Holmes national continue de lire le packaging: « Pour effectuer mes achats en toute confidentialité » et, effectuant le même raisonnement, il ajoute « La confidentialité c’est ce qui permet aussi aux terroristes d’agir sans laisser de traces ». Encore CQFD. Et moi qui croyait que la confidentialité c'était pour les sites jeux en ligne, les sites adultes et les sites de rencontres.
Michel Sapin ne connait d'ailleurs aucune raison qui justifierait qu'on veuille faire des achats en toute discrétion. A qui voudrions nous cacher nos dépenses après tout ? Car, finalement, si on tient à protéger sa vie privée c'est qu'on a forcément quelque chose à se reprocher. Peut-être n'a-t-il jamais eu à fournir ses relevés bancaires à un organisme de crédit pour obtenir un prêt ? Ou peut-être est-il satisfait que son chargé de compte, les fisc ou son épouse sachent tout de ses moindres dépenses. Michel Sapin oublie un des principes fondamentaux de notre démocratie qui est le droit à la vie privée et à la protection de nos données personnelles. Même en n'ayant rien à se reprocher, qui accepterait d'être filmé 24h/24 ?
Soit par méconnaissance du sujet, soit par omission volontaire, il reproche donc à ces cartes prépayées de ne pas laisser de traces. Mais, contrairement à ce qu’il affirme, les autorités judiciaires ont accès, sur réquisition, à l’historique complet de toutes les opérations effectuées avec n’importe quelle carte prépayée, qu'elle soit anonyme ou non. Notons que cette traçabilité n’existe pas avec les billets de banque que l'on se procure partout sans difficulté.
Notre Ministre ne sait d'ailleurs même pas que tous les établissements qui émettent des cartes bancaires prépayées en Europe (mais aussi dans d'autres parties du monde) sont tenus de mettre en oeuvre des outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Exactement comme les banques. C'est pourtant bien un service de son ministère, appelé Tracfin, qui récolte toutes les déclarations de soupçons que lui adressent ces établissements financiers. Qu'en font-ils ? En plus, il y a un service équivalent dans chaque pays européen. Pas de traces, vraiment ?

Au lieu de légiférer pour encourager les gens à abandonner les cartes prépayées au profit du total anonymat des espèces, Michel Sapin devrait plutôt renforcer la collaboration avec les établissements financiers qui émettent ces cartes prépayées. Sa démarche actuelle ne dérangera pas les terroristes, mais nuira sûrement à la liberté de chacun. Mais peut-être que, finalement, l’intention réelle du gouvernement est de profiter de « l'aubaine » offerte par cet horrible drame, pour retirer encore un peu de liberté et de confidentialité aux citoyens. De brider leur liberté de disposer de leur argent loin de l'oeil inquisiteur de l'Etat. Un Etat qui n’arrive plus à contrôler ses dépenses et cherche par tous les moyens à garder notre argent à portée de main. A tel point que même un Ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, a tenté de lui échapper. D’ailleurs ce n'est pas Bernard Cazeneuve mais Michel Sapin, le Ministre des finances, qui annonce ces mesures "sécuritaires", c'est-à-dire celui qui s’occupe de percevoir les impôts et de payer les dépenses de l’état.

Lutter efficacement contre le terrorisme

Les décrets que notre Ministre annonce pour interdire (ou grandement limiter) les cartes prépayées anonymes en France et en Europe, permettront-ils vraiment de lutter contre le terrorisme ?
Pour le savoir on pourrait déjà faire un bilan des précédentes mesures. L’installation de mouchards chez les fournisseurs d’accès internet et le blocage administratif des sites web ont-ils empêché les attentats de Paris ? La réponse est clairement Non. Mais la police a pu déjouer plein d'autres tentatives, vous rétorquera-t-on au Ministère de l'intérieur, sans toutefois préciser si les mesures de flicage d'internet y sont pour quelque chose. Mais on peut légitimement en douter, car si cela avait été le cas, ils n'auraient pas manqué de le claironner.
Admettons même que ces décrets aient déjà été en vigueur avant les attentats de Paris. La présentation d’une carte d’identité lors de l’achat d’une carte bancaire prépayée aurait-elle permis d’empêcher ou de détecter ces attentats ? Il est permis d’en douter. Peut-on un seul instant imaginer que des fanatiques, prêts à se faire exploser, puissent être dissuadés par le fait de devoir présenter leur pièce d’identité ? Ils avaient tous des pièces d'identités en règle et certains les ont même déposées en évidence au sol avant de se faire sauter. D'ailleurs, le criminel Amedy Coulibaly, n’a-t-il pas demandé et obtenu un crédit pour financer son attentat, avec des papiers bien en règle ?

La Directive sur les Services de Paiement de 2009

Une part de la vérité est peut-être aussi à aller chercher du côté des Banques. Celles-ci voient d’un mauvais oeil les services de paiement alternatifs comme la monnaie électronique (véritable appellation des cartes bancaires prépayées) surtout lorsque ceux-ci sont proposés par une nouvelle génération d'établissements financiers que sont les établissements de monnaie électronique (EME). Et les Banques n’ont cessé de vouloir torpiller ces initiatives issues de la Directive Européenne sur la libéralisation des services de paiement de 2009 (DSP). A les écouter, personne mieux qu'elles ne sait faire correctement le boulot. Se pourrait-il donc que derrière les décisions hâtives de notre gouvernement, il y ait des amis banquiers influents qui auraient profité de l'occasion pour glisser à l'oreille de notre Ministre : « Tu vois, je te l'avais bien dit. » 
Notons que nous n’avons rien entendu sur l’utilisation des téléphones mobiles qui ont permis aux assassins de communiquer et de se coordonner. Etaient-ils prépayés eux aussi ? Etaient-ils géolocalisables ? Va-t-on également légiférer pour interdire l'achat de téléphones prépayés anonymes ? On dirait que sur cette thématique il n'y a eu personne pour conseiller nos Ministres sur les mesures à adopter.  

Conclusion

Au final je trouve que nos gouvernants sont très forts lorsqu'il s'agit de trouver un bouc émissaire pour détourner notre attention de leur incompétence totale à nous protéger des dangers qu’ils ont eux-mêmes créés en déstabilisant des régions entières du monde. Si on les écoute, ce ne sont pas les millions d'euros que la France et ses amis (pays du Golfe en tête) ont versé aux rebelles syriens qui ont financé le terrorisme. Ce ne sont pas non plus les achats du pétrole de contrebande de daesh par des "amis" de la région. Ni les armes que nous leur avons fournis. Non, ce qui finance le terrorisme, Michel Sapin nous l'a expliqué en brandissant un petit carton acheté chez un buraliste, ce sont les cartes bancaires prépayées anonymes. L'ennemi de notre sécurité ce n'est pas la politique extérieure irrationnelle de notre gouvernement, mais bien la confidentialité, la vie privée et le porte-monnaie de nos concitoyens. On croit marcher sur la tête.

 

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